mardi 30 décembre 2014


Jocasses, pies, éperviers 


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"(...) C'est alors que j'ai aperçu un envol alerte de jocasses. Ces oiseaux, je les vois toujours en bande. Ils se meuvent avec agilité, tel un grand organisme aérien ajouré. J'ai lu quelque part que les jocasses se défendent si un rapace les attaque, par exemple un de ces éperviers indolents qui se laissent planer dans le ciel, comme des esprits saints. Car la volée a une manière assez perfide de combattre, et elle est également capable de se venger: tous les oiseaux s'élèvent d'un coup dans les airs et défèquent tous ensemble sur leur agresseur, des dizaines de fientes blanches atterrissent sur les jolies ailes de l'épervier, le salissent, collant ses plumes et les rongeant de leur acide. Pour se sortir d'affaire, le rapace doit se ressaisir, abandonner sa poursuite et se poser dans l'herbe, écoeuré. C'est à mourir de dégoût tant ses plumes sont souillées, barbouillées d'excréments! Il passe une journée entière, puis une autre encore, à les nettoyer. Il ne dort pas, impossible de dormir avec des ailes aussi crasseuses. Il n'en peut plus de l'odeur infecte qu'il dégage. Il est comme une souris, une grenouille ou une charogne. Il n'arrive pas à enlever la fiente séchée avec son bec, il est frigorifié et l'eau de pluie pénètre facilement son plumage collé pour atteindre sa peau délicate; il se fait rejeter par les siens, les autres éperviers. Ils le prennent pour un lépreux contaminé par une terrible maladie. Sa dignité a été entachée. Tout cela, l'épervier a du mal à le supporter et il arrive que l'oiseau se laisse mourir.

A présent, conscientes de leur force en bande, les jocasses s'adonnaient à des pitreries devant mes yeux, traçant des arabesques dans les airs.






(...) J'ai contemplé les pies pendant qu'elles prenaient leur bain dans une flaque laissée par la neige fondue. Elles me regardaient l'oeil en coin, mais je ne devais pas leur faire peur, car elles s'éclaboussaient de leurs ailes et plongeaient la tête dans l'eau. A observer leurs frétillements joyeux, on comprenait combien ce bain devait être agréable.
Les pies ne peuvent pas vivre sans se baigner fréquemment, paraît-il. De plus, elles sont intelligentes et culottées. Il est de notoriété publique qu'elles volent aux autres oiseaux de quoi construire leur nid et qu'elles y déposent ensuite des objets brillants. J'ai entendu dire qu'il leur arrive parfois de se tromper et de rapporter des mégots incandescents; elles mettent ainsi le feu à la maison sur laquelle elles ont bâti leur nid. En latin, notre bonne vieille pie porte un très joli nom: Pica pica.

Comme le monde est vaste et plein de vie."






Olga Tokarczuk, Sur les ossements des morts
traduit du polonais par Margot Carlier
Editions Libretto, 2014




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En cette veille de Premier janvier 2015, et en compagnie d'une myriade d'oiseaux, je vous souhaite de belles envolées, de doux roucoulements, des plumages multicolores et par-dessus tout de joyeux piaillements pour cette année à venir.

A très bientôt !

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Photos: Les Oiseaux (The Birds) d'Alfred Hitchcock (1963) avec Tippi Hedren

 

1 commentaire:

  1. Un peu bizarre , ton truc, intriguant ...
    Merci pour les vœux , j'espère bien roucouler un de ces quatre , mais ça n'est pas gagné ;-)
    " tout de bon" , comme disent nos amis suisses !

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